Pas plus tard que lundi ou mardi dernier, dans le contexte d’un audit d’évaluation conforme à la norme ISO 9001:2015 chez un client, nous avons eu l’occasion de lui suggérer la distribution de Pareto comme solution technique conformément au chapitre 8.4 de la norme : Maîtrise des processus, produits et services fournis par des prestataires externes.
Plus précisément, au 8.4.1 Généralités, il est précisé « L’organisme doit déterminer et appliquer des critères pour l’évaluation, la sélection, la surveillance des performances et la réévaluation des prestataires externes, fondés sur leur aptitude à réaliser des processus ou fournir des produits et services conformes aux exigences. »
La loi de Pareto, souvent désignée loi des 20-80 ou loi A-B-C, est adaptée à ce type de problème. Elle permet de lister les critères d’appréciation pour les classer en colonnes dans un tableur sous forme de donnée à analyser. Ces critères doivent être en nombre limité pour ne pas tomber dans une interprétation complexe peu intelligible. Au-delà de dix critères, mieux vaut constituer des classes qui en regrouperont certains.
Un outil d'usage concret
Dans le cas des fournisseurs, on peut établir des critères par catégories de produits ou de prestations, colliger les données de budget, de délais de livraison, et si on le souhaite établir une cotation sur des critères qualitatifs tels que la réactivité, la capacité à répondre à une urgence ou à produire une petite série vs. une grande série. On se focalise sur une période – les 12 derniers mois ou les 3 dernières années – et on trie les colonnes de données par ordre décroissant.
Après calcul des pourcentages cumulés, on crée le diagramme qui permet de distinguer les fournisseurs stratégiques avec lesquels il faut un processus de surveillance renforcé doit être établi.
Une méthode simple et visuelle
Le diagramme de Pareto est un graphique à échelle verticale double. Il présente de manière visuelle la loi de Pareto, devenue l’un des standards du contrôle qualité à partir des années 40 aux États-Unis, sur une contribution de Joseph Moses Juran (1904-2008, oui la qualité conserve !). Fondateur de la démarche qualité, il a montré qu’elle était applicable dans bien des domaines de l’entreprise : vente, marketing, production, logistique, finance, etc.
NB : l’apport de Jo Juran est d’une certaine manière un détournement. Vilfredo Pareto (1848-1923) avait conçu son outil pour mesurer les inégalités à travers un modèle de la distribution des richesses en Angleterre dont l’évolution a conduit à la Courbe de Lorenz et à l’Indice de Gini.
La bible de Jo Juran, The Juran’s Quality Handbook, est encore aujourd’hui considérée comme une référence. On en est à la septième ou huitième édition.
Le diagramme de Pareto hiérarchise les actions à mener de manière visuelle grâce à un graphique simple à préparer et à analyser, pour concentrer les efforts sur les 20% de causes qui produisent 80% des effets.
Pareto en QSE et pour le Six Sigma
En management opérationnel, on peut envisager de nombreuses applications de la loi de Pareto notamment dans les domaines QSE et dans le cadre du Six Sigma dont Pareto est un outil phare.
En QSE, outre l’exemple ci-dessus pour classer et hiérarchiser les fournisseurs, citons le classement des risques, par exemple dans le DUERP, ou la gestion de la qualité totale (Total Quality Management) comme technique d’analyse de l’importance des causes majeures d’un problème de qualité. Il ne suffit que de quelques-unes, bien isolées, pour résoudre la plus grande partie d’un problème de qualité. Une fois ces causes majeures connues, les efforts et les moyens se concentrent à les éliminer.
En Six Sigma, Pareto est un outil d’efficience et de « simplexification ». Le diagramme est construit en segmentant les données en groupes qu’on appelle aussi des segments ou des catégories. Il permet ainsi d’afficher l’importance relative des différences entre groupes de données pour cibler les actions à conduire sur le problème étudié afin d’en maximiser l’impact au moindre coût en centrant l’effort sur les bonnes ressources. Le côté gauche de l’axe vertical du diagramme de Pareto indique le nombre d’instances de chaque catégorie et le côté droit, le pourcentage cumulatif. L’axe horizontal représente les noms des catégories comme dans l’exemple ci-après.
Le principe de Pareto apporte une aide en phase d’analyse pour aller à l’essentiel, possiblement en phase Définir et définitivement en phase Analyser du DMAIC.
La longue traîne : la queue de Pareto
Le principe 80/20 se rencontre partout. Il traduit une réalité du monde qui est que les causalités ne sont pas linéaires, mais le résultat de forces agissantes principales que la loi de Pareto rend intelligibles en « simplexifiant ». Elle n’est donc pas à prendre au pied de la lettre mais de façon étonnante et mal expliquée, elle se vérifie souvent, certes avec parfois des variations (90/10 ou 70/30) mais l’idée reste toujours la même :
■ 20% des ventes représentent 80% des bénéfices ;
■ 20% des pièces en stock représentent 80% de la valeur du stock ;
■ 20% des indicateurs fournissent 80% de l’information ;
■ 20% des problèmes représentent 80% des préoccupations ;
■ 20% des causes peuvent être à l’origine de 80% des défauts.
Et bien entendu :
■ 20% des fournisseurs représentent 80% du volume d’achat total.
La loi de Pareto est une loi de puissance, c’est-à-dire une relation mathématique entre la fréquence d’un événement et sa taille dont la particularité tient à ce que les fréquences diminuent lentement lorsque la taille augmente.
On peut la représenter de la sorte :
À droite, la queue de la distribution illustre l’effet de longue traîne. Elle se poursuit loin, de sorte que la médiane de dispersion est probablement décalée dans la longue traîne. Par rapport à une gaussienne ou loi normale, la majeure partie de la distribution est donc contenue dans cette traîne.
Jusqu’à tout récemment on ne s’en préoccupait guère. Seule était prise en compte la « short head » de Pareto. La traîne était hors du champ d’observation. Mais avec les nouvelles technologies de réseaux, de big data, d’IA et d’Industrie 4.0, les choses sont en train de changer dans certains cas spécifiques.
L’expression longue traîne (Long Tail, en anglais) a été popularisée par Chris Anderson en 2004 dans un article de Wired dont il est le rédacteur en chef, pour décrire une partie du marché des entreprises Netflix et Amazon qui vendent de nombreux produits chacun en petite quantité. Même un produit improbable finit un jour par enregistrer une vente si bien que la traîne ne finit jamais. Ce modèle s’applique en particulier dans le monde du web, et encore plus en particulier pour le SEO, mais rien n’interdit de penser que tout système ayant un coût d’acquisition assez faible et des frais de stockage et de distribution négligeables puisse évoluer suivant ce modèle.
Avec le web et les réseaux sociaux, il n’est pas impossible dans certains cas de rebattre les cartes et de mieux s’intéresser aux distributions à queue lourde, en tirant le meilleur des nouvelles possibilités des outils numériques, pour répondre aux :
■ 80% des causes qui sont tout de même à l’origine de 20% des défauts et que de ce fait on laisse filer,
■ 80% des clients qui ne peuvent représenter au plus que 20% de chiffre d’affaires mais que personne ne cherche à satisfaire,
■ 80% des références qui encombrent les étagères et pourraient générer jusqu’à 20% de ventes supplémentaires.
Pareto et la Roue de Deming
Pour prendre en compte la « queue de Pareto » dans une démarche Lean Six Sigma, il faut intégrer la loi de Pareto ou son expression par le Modèle A, B, C, dans le processus de l’amélioration continue. Ainsi, la phase « Analyze » du DMAIC ou la phase « Do » du PDCA se répète en phases successives. La Roue de Deming tourne et le système avance. Nous avons explicité plusieurs aspects du concept dans un autre article : En route vers le PDCA de demain.
Le premier Pareto se concentre sur les événements qui ont la fréquence la plus grande. Efficience : on va toujours à l’essentiel.
Mais pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Une fois les améliorations apportées aux événements de plus grande fréquence, rien n’interdit de progresser et de s’intéresser aux suivants, toujours dans le même processus de progrès permanent. Bien entendu, il faudra changer de braquet et adapter les outils car les problèmes ne seront plus de même nature. Bien entendu arrivera le moment où l’effort à accomplir pour améliorer n’aura plus aucun sens par rapport au gain minimal espéré. Il sera temps de s’arrêter. Mais on restera vigilant et opportuniste. Les limites qui se font jour à un moment donné peuvent voler en éclat le lendemain du fait de changements externes, comme c’est le cas avec une évolution de paradigme technologique.
Il nous semble donc capital de ne jamais perdre de vue la Roue de Deming dans une démarche de maîtrise de processus organisationnel ou dans le management d’un projet complexe. « Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage. » (Boileau, 1636-1711)
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