Prenons le thé avec Russell

Thé avec Russell
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Théière

Bertrand Russell est un philosophe majeur du XXe siècle. Filleul de John Stuart Mill, cet aristocrate – troisième Earl Russell (comte) de Kingston Russell dans le comté du Dorset – siégea à la Chambre des Lords. Lauréat du prix Nobel de littérature en 1950, il a publié des essais philosophiques mais aussi des romans et des nouvelles. Le Voltaire anglais a produit une réflexion stimulante dans le domaine de la logique et de l’épistémologie, de la philosophie des sciences, et particulièrement sur les questions liées à la connaissance et à la vérité, encore plus spécifiquement la logique déductive et l’induction.

L’homme me fascine aussi pour une autre raison. Il s’est réfugié à Penrhyndeudraeth au nord-ouest du Pays-de-Galles, dans le Gwynedd, où il a vécu jusqu’à sa mort en 1970, une petite communauté de quelques centaines d’âmes. Rien qu’écrire et prononcer ce nom est un défi à nul autre pareil et je veux croire que ce choix témoigne d’une personnalité spirituelle et facétieuse.

Russell est un zélateur incessant des rasoirs philosophiques, un sujet sur lequel nous aurons l’occasion de revenir souvent tant il imprègne la précellence en management, du rasoir d’Ockham à la guillotine de Hume, en passant par le principe de falsifiabilité de Popper.

En 1952, dans un article resté célèbre : Is There a God ?, qui pour la petite histoire finalement ne fut pas publié par le magazine Illustrated qui l’avait pourtant commandé, il questionnait :

 « De nombreuses personnes orthodoxes parlent comme si c’était le travail des sceptiques de réfuter les dogmes plutôt qu’à ceux qui les soutiennent de les prouver. Ceci est bien évidemment une erreur. Si je suggérais qu’entre la Terre et Mars se trouve une théière de porcelaine en orbite elliptique autour du Soleil, personne ne serait capable de prouver le contraire pour peu que j’aie pris la précaution de préciser que la théière est trop petite pour être détectée par nos plus puissants télescopes. Mais si j’affirmais que, comme ma proposition ne peut être réfutée, il n’est pas tolérable pour la raison humaine d’en douter, on me considérerait aussitôt comme un illuminé. Cependant, si l’existence de cette théière était décrite dans des livres anciens, enseignée comme une vérité sacrée tous les dimanches et inculquée aux enfants à l’école, alors toute hésitation à croire en son existence deviendrait un signe d’excentricité et vaudrait au sceptique les soins d’un psychiatre à une époque éclairée, ou de l’Inquisiteur en des temps plus anciens. »

La théière de Russell est une des métaphores les plus percutantes du scepticisme moderne. Bertrand Russell défend l’idée qu’il ne revient pas au sceptique de réfuter des propositions invérifiables, qu’il appartient au contraire à ceux qui allèguent de prouver leurs dires.

« Quod gratis asseritur, gratis negatur » : Ce qui est affirmé sans preuve peut être nié sans preuve. La charge de la preuve revient à celui qui affirme.

Pourquoi ne pas procéder à l’inverse ? Parce que renverser la charge de la preuve conférerait à l’ignorance un statut impossible. Tout ce qui ne pourrait pas être tenu pour vrai sans pour autant être démontré faux se soustrairait du champ de la réfutabilité et n’importe quel fait invérifiable devrait dès lors être considéré vrai par principe. Ce serait un biais cognitif majeur, un aller simple vers la régression obscurantiste.

Dans les entreprises aussi, il y a parfois des dieux, des dogmes et des religions. Peut-être même de plus en plus ? Raisonner, douter, s’interroger, garder l’esprit critique, rester libre de son jugement, etc. sont autant d’attitudes saines, scientifiques et rationnelles, qui permettent d’invalider les croyances théologiques persistantes. Mais en se comportant à contre-courant de l’ordre établi, on peut provoquer angoisse et crainte dans l’organisation. Nombreux sont en effet ceux qui se réfugient dans le relativisme. Ils se rassurent à bon compte pour ne pas avoir à choisir, pour ne pas décider et par exemple, mettent sur un même pied d’égalité les opinions et les faits avérés.

Il n’est pas rare que des modèles présentés comme vérités universelles ne soient en fait que des idées reçues qu’on ne parvient même plus à discuter. Ce biais cognitif est dangereux. Il peut précipiter l’organisation à sa perte. Il prend des formes diverses, y compris en étant camouflé derrière une apparence d’exactitude. On glisse subrepticement vers une forme de sophisme qui consiste à défendre des avis sans base scientifique ou managériale solide avec les apparences de la rigueur, alors qu’en réalité, plus ou moins consciemment, on manipule les faits. Prenez l’exemple des faux dilemmes qui tendent à résumer à deux options sans nuance une réalité souvent plus subtile et rarement dichotomique. Ou celui des affirmations manichéennes telles que : « soit on investit dans ce projet, soit on va disparaître. » Ou encore ce cas vécu :
          – Votre projet, votre technologie : on n’y croit pas.
          – Mais une solution technique, ce n’est pas une religion !
            La technologie, ça se constate et ça se vérifie.
Enfin, prenez la mesure des thèses de la pensée unique et du politiquement correct. Ne procèdent-elles pas, à leur manière, des mêmes préjugés fallacieux que la théière de Russell, le dragon dans mon garage de Carl Sagan, ou le Monstre en spaghetti volant des pastafaristes ?

 

Savoir réfuter les théières célestes, c’est a contrario prêter plus d’attention aux signaux faibles du cygne noir, la théorie de Nassim Nicholas Taleb à propos des événements imprévus d’impact majeur. Moins d’idées reçues, moins de discours convenus mais plus de lucidité, plus d’écoute envers les lanceurs d’alertes, plus d’empathie avec les visionnaires, trop souvent rabaissés au rang de sibylle ou d’augures de mauvais présage, tels sont à mon avis les ingrédients d’un management humain et perspicace, un management d’excellence.

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Squalean est un cabinet-conseil engagé dans la Précellence en management ou triple excellence – règlementaire, opérationnelle et citoyenne –.
Conciliant efficience économique et éthique des affaires, Squalean déploie sa démarche de progrès permanent par transfert de compétences du plus opérationnel au plus stratégique et vice-versa.

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