Qui va accepter d’être testé faux positif ?

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Un problème classique de management

Au moment où commencent à être pensées les stratégies de déconfinement qui seront mises en œuvre d’ici quelques semaines, il apparaît à propos de bien souligner un problème classique de management qui a notamment été étudié par le prix Nobel d’économie Daniel Kahneman avec le psychologue Amos Tversky. Ce problème trouve une application particulière dans la question de la généralisation des tests du coronavirus.

N’étant pas médecin, je ne rentre surtout pas dans le débat sur les bénéfices comparés des tests virologiques —qui identifient le virus dans le corps— et des tests sérologiques —qui prouvent la présence d’anticorps dans le sang—. On sait par ailleurs que les tests virologiques existent et sont massivement utilisés dans des pays tels que l’Allemagne et la Corée du Sud, la Corée avec les résultats que l’on sait. Au contraire, les tests sérologiques vont bientôt arriver sur le marché mais ne sont pas encore industrialisés à grande échelle. À écouter les spécialistes, la question de leur fiabilité est un peu plus critique que ne le laisse entendre la presse, car il y a deux types d’anticorps dont certains sont trompeurs et je m’arrête là, parce qu’au-delà c’est une question de grands spécialistes.

Pour le raisonnement qui suit, je retiens la pratique d’un test virologique mais le raisonnement ne serait pas bien différent s’agissant d’un test sérologique. Seule l’intention de détection changerait : prouver la présence du virus dans le cas du virologique, trouver des traces d’anticorps dans le cas du test sanguin. Le premier, plutôt en phase épidémique ; le second, plutôt en support à une politique de déconfinement (si j’ai bien compris).

Illustration : un département teste sa population

Soit un département français moyen d’environ 700.000 habitants (Meurthe-et-Moselle, Calvados, Loiret, Pyrénées-Atlantiques, etc.). Afin de détecter le coronavirus, les autorités sanitaires décident de tester la population dans son ensemble grâce à un test virologique rapide qui vient d’être mis au point. Il aura pour fonction de déterminer si la personne testée est infectée et doit être isolée (et éventuellement traitée) ainsi que les personnes qui ont été en contact avec elle. Toutefois, quoique très efficace, ce test de virologie n’est pas parfait. Supposons que son taux d’erreur soit de 1%, plus précisément que sa sensibilité (il réagit bien au virus) et sa spécificité (il réagit au bon coronavirus) soient de 99%, ce qui en fait un test de grande excellence, les spécialistes s’accordant plutôt sur des taux d’erreurs communs de 15 à 20%. [Mise à jour : dans la réalité, les experts indiquent 5% de faux positifs et 30% de faux négatifs au test PCR pour le diagnostic du COVID-19, par exemple dans La Voix du Nord, le 25 avril.]

Soulevons alors cette simple question : si une personne prise au hasard dans la population est testée positive, quelle est la chance qu’elle soit réellement porteuse du virus y compris asymptomatique ?

En omettant la fréquence de base, on va considérer le taux d’erreur de 1% et uniquement celui-ci, pour conclure qu’il y a une probabilité de 99% que le patient soit effectivement malade. Simple et évident. Seulement voilà, c’est faux. En réalité, deux cas de figure se présentent en prenant soin de comptabiliser l’ensemble des tests :

          • 99% des malades dans la population seront détectés par le test (taux d’erreur de 1% de faux négatifs) ;
          • Mais en outre 1% de gens en bonne santé apparaîtront positifs et seront donc à tort considérés comme malades (taux d’erreur de 1% de faux positifs).

Faisons maintenant l’hypothèse qu’au moment où le test massif sur la totalité des habitants est décidé, 10% de la population départementale a attrapé le coronavirus et 90% n’est pas infectée. Cela donne 69.300 malades détectés sur 70.000 et 6.300 faux positifs sur les 630.000 restants, soit un total de 75 600 tests positifs. La probabilité qu’un patient soit effectivement malade lorsque son test est positif est donc de 69.300 ÷ 75.600, soit 92% et la probabilité que son test positif soit faux est donc de 6.300 ÷ 75.600, soit 8%. Ce n’est pas rien.

L’erreur peut s’exprimer comme la confusion entre la probabilité pour un patient de réagir au test alors qu’il est malade (92%) et la probabilité pour un patient de ne pas être malade alors qu’il a déclenché le test (8%).

Maintenant, si non plus 10% mais 60% de la population est infectée (ce qui signifie qu’elle est collectivement immunisée), soit 420.000 porteurs du virus et 280.000 personnes en bonne santé, alors les tests trouveront 415.800 malades parmi les porteurs et 2.800 faux malades parmi les personnes en bonne santé, soit au total 418.600 malades supposés ce qui correspond à 99% de vrais malades et 1% de faux malades Notons que, dans ce cas, l’oubli de la fréquence de base n’empêche pas de retomber sur ses pattes, l’écart étant faible entre un raisonnement qui la néglige et un raisonnement rigoureux qui en tient compte. Toutefois 4.200 vrais malades n’auront pas été diagnostiqués. Certains développeront la maladie et seront diagnostiqués plus tard —peut-être trop tard—, d’autres, asymptomatiques, seront contagieux mais libres comme l’air, ce qui tend quand même un peu à légitimer l’intérêt du confinement indifférencié. Mais c’est un autre débat.

Inversement, si on fait l’opération de tester la population au tout début de l’épidémie alors que seulement 1% des concitoyens ont contracté le virus soit 7.000 malades et 693.000 personnes en bonne santé, le test identifiera 6.300 vrais malades et 6.930 faux malades, soit 48% de vrais malades et 52% d’erreurs de diagnostic, 70 malades étant passés à la trappe. Là, c’est énorme !

La fréquence de base illustré pour un département

Limites et intérêts des tests

Ainsi, plus la population infectée est importante dans la société, plus l’erreur du test est supportable. A contrario, une grande disproportion entre la population infectée et la population totale introduit un biais méthodologique en augmentant énormément le risque d’erreur sur la population réagissant au test, surtout du côté des faux positifs. Si on oublie de prendre en considération ces derniers, si on oublie de prendre en compte la faiblesse probable de l’échantillon cible, on commet une erreur d’ordre de grandeur qui, forcément, aura des conséquences de surdiagnostic. Vous me direz que mettre en quarantaine un faux positif ce n’est pas bien grave, moins grave en tous cas que de ne pas soigner de vrais malades. Voilà qui justifie peut-être que certains pays aient choisi de tester au tout début de l’épidémie malgré le défaut d’échantillonnage. En outre, la dynamique de l’épidémie n’est pas prise en compte dans le raisonnement simplifié. Plus le temps passe, plus le test s’ajuste à la population infectée. Au fur et à mesure que cette dernière grossit, le biais diminue.

L’intérêt des tests n’est pas qu’ils soient parfaits mais qu’ils soient suffisamment fiables pour permettre de trouver l’immense majorité des personnes malades sans devoir isoler tout le monde, et participent ainsi à mettre en œuvre une politique sélective de confinement. Précisément ce qu’est parvenue à faire la Corée du Sud. Par analogie, le test sérologique aidera sans doute à réussir le déconfinement sélectif en France à condition toutefois de ne pas se précipiter, de bien s’assurer qu’a été mis au point un test de grande fiabilité. Il faut en outre confirmer qu’une part significative de la population totale a déjà rencontré le virus. Pour vérifier l’allégation, un échantillonnage préalable constitue une étape incontournable.

La rigueur méthodologique et la communication autour des tests seront au moins aussi importantes dans la réussite du plan de déconfinement que la réalisation efficace des tests proprement dits.

Se départir d’un raisonnement simpliste

Le biais d’oubli de la fréquence de base et des faux positifs est une faille de raisonnement classique en épidémiologie et dans l’industrie pharmaceutique. Il se rencontre aussi dans de nombreux autres domaines, par exemple dans un entrepôt, au SAV : entre une défaillance fréquente sur un produit de niche et une panne rare sur un produit de masse, laquelle traiter en priorité ? En production industrielle sur une ligne en continu où un capteur scanne des pièces afin d’éliminer les défectuosités, quelle sera l’incidence de l’élimination de pièces qui n’auraient pas dû être réformées par rapport à l’alternative de maintenir un niveau plus élevé de pièces défectueuses dans le circuit commercial ?

Plus la probabilité d’occurrence de l’événement qu’on cherche à détecter est faible, plus le risque de fausses alertes qui entraînent des erreurs de décision augmente. Avant tout emballement, la vigilance doit donc se porter sur la taille de l’échantillon cible et sur la fréquence de base dans la population étudiée ■

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