Chez Squalean, nous aimons beaucoup les KPI parce que dans nombre de contextes, ils aident à suivre une politique et à anticiper les actions en captant les signaux faibles et les ”early warnings”. Mais nous nous en méfions tout autant parce qu’ils s’éloignent trop souvent de l’éventail des possibles en figeant la situation. Sous couvert de l’indicateur, celle-ci ne sera plus observée qu’avec les œillères de la standardisation.
Nous avons pensé judicieux de motiver notre point de vue en apportant des éléments au débat. En revanche, nous partons du principe que vous savez déjà ce dont il retourne. Nous ne réexpliquons pas. La littérature abonde : quels types de KPI ? Comment créer des KPI ? Comment les mettre en œuvre, les suivre ? Nul besoin d’en rajouter.
NB : nous n’abordons pas les OKR (Objectives and Key Results). Ils correspondent à une gestion par objectifs (souvent individuels) qui sont d’autant moins SMART qu’ils se doivent d’être ambitieux, cadencés par les jalons trimestriels qui vérifient que les résultats chiffrés intermédiaires sont alignés sur la stratégie. Le principe est de se mettre la pression pour se dépasser. Ça marche, mais ce n’est pas vraiment Squalean-compatible car en général, les OKR ne peuvent pas respecter l’axiome d’humanité auquel nous sommes attachés.
Les KPI marqueurs de la performance
Par définition, un KPI (Key Performance Indicator) est un indicateur de performance. Il faut donc commencer par s’entendre sur la notion de performance et c’est loin d’être gagné. Est-on plutôt centré sur l’objectif (à atteindre), sur le résultat (obtenu) ou sur les moyens (mobilisés) ? Est-on plutôt sensible à l’efficacité, au lien de proximité entre l’objectif souhaité et le résultat obtenu, ou à l’efficience, économie de moyens par rapport au résultat, ou encore à la pertinence, adéquation des moyens en ligne avec l’objectif visé ?
La performance tient un peu de tout cela à la fois mais tout le monde ne la voit pas de la même manière. La stratégie, de même que la culture de l’organisation, expriment précisément les différences de point de vue. Autrement dit, le choix d’un KPI n’est pas neutre. Il en dit par lui-même sur notre vision des choses. La valeur d’un KPI dépend de la valeur de l’action qu’il inspire et le choix de l’outil influence la mesure et le résultat.
Nous aimons bien les KPI smart / smarter
Squalean aime les KPI qui clarifient la situation. C’est toujours mieux d’y voir plus clair.
Les KPI que nous apprécions ont en commun trois caractéristiques. Ils sont spécifiques, quantifiables et mesurables. Ils respectent une ligne de conduite Smart / Smarter.
- Spécifique signifie que chacun a le sien propre. Le bon KPI pour vous est celui qui vous correspond parce qu’il fait sens, vous met à l’aise et vous aide à avancer. Un bon KPI, c’est votre allié, pas un flic !
- Quantifiable rappelle qu’il faut rechercher une synthèse simple d’informations pertinentes liées à ce que l’on doit mesurer. Si c’est trop sophistiqué ou si c’est fumeux et alambiqué, alors ça ne marchera pas.
- Mesurable suppose deux choses : une unité de mesure stable temporellement, ce qui n’est pas toujours le cas (la valeur d’une monnaie n’est pas constante sur la durée) ; au moyen d’un instrument de mesure fiable et neutre, problème subtil s’agissant de qualitatif quantifié (la gentillesse, la confiance, la sagesse).
Nous sommes plus partagés sur d'autres KPI
Un KPI peut servir à suivre des projets, des programmes, des produits, des processus et plein d’autres situations. L’outil est adaptable à l’infini pour mesurer le succès de toute chose, des objectifs de vente à la performance d’un média social, en passant par la satisfaction des usagers d’un service public ou le rendement d’un poste de travail.
Certaines sociétés suivent des KPI simples, parfois uniques. Elles présentent l’information sous forme visuelle adaptée à l’usage qu’on veut en faire : tableau de bord, boussole, barre de progression, radar, camembert, icônes de couleur, etc. Les KPI justifient un point hebdomadaire qui rassemble et mobilise tout ou partie du personnel. Certains KPI servent d’alerte. Ils signalent aux opérateurs, au personnel d’encadrement ou au chef d’entreprise un franchissement de seuil par rapport à une valeur.
Jusque-là tout va bien. Les choses se corsent lorsque le personnel est invité à surveiller simultanément plusieurs KPI. Demander de prêter attention à des facteurs disparates sans les hiérarchiser ne fait en général que semer la confusion, surtout si on les agrège en un indicateur composite.
Exemple : un KPI composite sert à comparer des lots dans un atelier. Il identifie les caractéristiques des meilleurs et des moins performants d’entre eux sur la base d’un échantillonnage, d’une étude de variabilité et de la définition de standards par rapport à des critères pondérés en fonction de leur importance relative. La partie la plus sensible consiste, pour élaborer la formule d’agrégation, à obtenir un consensus sur les facteurs de pondération et de normalisation.
Et voilà ! Rien que pour décrire un KPI composite de ce type, c’est déjà compliqué. Alors pour le mettre en œuvre ? Il faut prendre conscience qu’on bascule assez rapidement dans l’usine à gaz. Lorsque les matheux du siège se font plaisir, l’opérateur de terrain a pour sa part de grandes difficultés à comprendre ce dont il retourne. L’opacité prend le pas sur l’information pertinente. On perd le contact avec le réel.
Nous sommes très réservés envers certains KPI
L’idée d’évaluer l’efficacité des actions et des décisions est séduisante. Si le KPI est choisi avec discernement, il mesurera la performance de l’activité ou du process, donc mettra le doigt sur les progrès à réaliser pour atteindre l’objectif.
Mais il figera la situation sur les seules questions de variabilité et de standardisation des processus. En fait, le KPI n’est pas très copain avec l’innovation, la créativité et les pensées disruptives. Stabiliser le temps de cycle, les coûts, le débit, la productivité, le rendement, les bénéfices, la qualité, la maintenance, les niveaux de stock, l’utilisation des actifs, etc., tout cela pousse à la standardisation contrainte, aux stéréotypes.
La démarche peut aussi parfois se révéler idéologique et pesante, tendancieuse jusqu’à l’excès, par exemple lorsque les KPI visent à modéliser une usine-type pour imposer sa réplication à l’identique dans le Piémont pyrénéen, la province de Liège, en Anatolie et dans l’Oblast de Moscou, au mépris des différences culturelles et règlementaires.
Nous n'aimons pas certaines dérives
Ce qui nous rebute est essentiellement une question d’ordre philosophique. En fait une double question.
Point 1 – Tout d’abord, la méthode des KPI établit souvent des liens de causalité douteux, en tous cas discutables et très contestables. Il n’est pas rare qu’elle conduise à observer les symptômes d’un problème sans en comprendre la cause parce que l’investigation n’a pas été poussée plus loin. C’est un peu comme le thermomètre : la prise de température annonce l’infection mais ne dit rien de la maladie. Le KPI cache alors l’ignorance et détourne l’attention de bien d’autres facteurs non moins pertinents dans les systèmes complexes.
Nous l’avons souligné dans un autre chapitre : « simplexifier » n’est pas simplifier mais rendre le système complexe intelligible. C’est précisément ce que le KPI ne fait pas très bien. Or, comme dit de façon triviale : « celui qui ne sait pas où il va n’a aucune chance d’arriver à destination. »
Point 2 – D’autre part, le KPI consistant à se fixer une performance à atteindre, cette manière de faire peut, dans certaines situations, conduire au dogmatisme et à la manipulation. Le culte du KPI finit parfois par ressembler à celui de la théière de Russell. Il impose une règle qui, systématisée voire tyrannique, produit une forme de paresse ou plutôt de paralysie analytique en refusant par principe la possibilité d’alternatives.
Un KPI de ce type, ce serait typiquement le suivi par une autorité sanitaire d’un taux de positivité ou d’un taux d’incidence, y compris sur sept jours glissants, pour une maladie pandémique, hors du moindre questionnement quant à la pertinence de l’indicateur, avec des ajustements permanents à l’emporte-pièce et un effet retard des plus pernicieux. Ce KPI se concentrerait sur l’épidémiologie et oblitèrerait des champs entiers d’investigation notamment dans les domaines complémentaires, ceux de la gestion du changement et de la préventique, par exemple. Il négligerait quantité d’information d’une grande utilité potentielle.
Comme le fait valoir Olivier Sibony, Professeur de stratégie d’entreprise à HEC Paris, dans un article paru le 1er novembre et intitulé Des KPIs pour le Covid !, « Il est urgent de mettre en place des indicateurs avancés de l’épidémie. Et d’apprendre à les piloter. » […] « des indicateurs avancés, qui anticipent le résultat au lieu de le suivre. » […] « Quand on conduit la voiture en regardant dans le rétroviseur, on termine inévitablement dans le fossé. »
Au lieu de quoi on est comme gagné par la pensée magique d’une part, et par la tétanie d’autre part. L’ignorance fait peur, le risque d’échec fait peur et même la vie finit par faire peur, au point que l’on décide de la mettre entre parenthèses pour la restreindre à sa forme végétative.
Le KPI devient alors l’oracle quotidien dont on attend la prophétie, pour savoir s’il nous est loisible d’aller cueillir des champignons dans le bois d’à-côté ou bien d’acheter un sapin pour fêter la Nativité.
Non, vraiment, un KPI de la sorte, ce n’est pas une bonne idée.
Qu’en pensez vous ? Nous apprécierions beaucoup de recevoir vos commentaires en retour.
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