La marche Gemba

Des pas sur les pavés
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Si vous passez le mot japonais 現場 (Gemba) au traducteur en ligne, vous obtiendrez « sur site », « le véritable endroit » ou « le vrai lieu ». Le Gemba est l’emplacement où les choses se passent, celui de la réalité du travail, celui où il s’effectue vraiment. Au restaurant, ce sera la cuisine ; pour l’agriculteur, ce sera dans les champs ; et dans un contexte industriel, ce seront les ateliers de production. Le Gemba commande d’aller voir sur le terrain comment les choses se font et se déroulent vraiment.

Le Gemba est un outil organisationnel inspiré du « toyotisme » devenu par la suite TPS (Toyota Production System) puis Lean Management. Il revient à Taiichi Ōno, de l’avoir introduit le premier chez Toyota dans le cadre de la politique du juste-à-temps. Comprenons bien le renversement de perspective qui s’est opéré pour en arriver là.

Ouvrière dans un atelier

Les leçons de Toyota

La Toyota Motor Corporation ambitionnait de concurrencer les leaders américains du marché automobile de l’époque, mais elle ne pouvait envisager d’appliquer les mêmes méthodes. GM, Ford et Chrysler misaient en effet à fond sur le marché intérieur, les économies d’échelle et les quantités produites. En ce temps-là, (1950-1970) le modèle dominant du management était le taylorisme et le fordisme. Le génie de Taiichi Ōno a été de prendre le problème autrement, pour ne pas dire à l’envers, et d’appliquer une pensée qu’Arthur Koestler aurait sans doute qualifiée de « bissociative ». Il a compris que Toyota, à cette époque, ne pouvait pas s’appuyer sur la production de masse mais devait au contraire miser sur de petites séries adaptées à la taille du marché intérieur japonais afin de réduire les coûts de production. Nous n’étions pas encore dans une économie globalisée à cette époque.

La question récurrente que se posait Ōno était : « comment augmenter la productivité si les quantités restent faibles ? ». Il commençait à imaginer un système différent avec une succession de concepts novateurs qu’il voulait promouvoir : flux tiré, takt time, heijunka, jidoka, andon, kanban, management visuel, etc.

L’intuition d’un ingénieur est rarement partagée d’instinct par le collectif d’ouvriers qu’il veut mobiliser. Ce n’est pas parce que l’histoire se déroulait au Japon, que Taiichi Ōno ne s’est pas trouvé confronté à la contestation, à l’incompréhension et aux objections des équipes, à la contrainte de devoir convaincre pour faire accepter le changement et remporter l’adhésion.

Dans ce contexte de résistance au changement, Ōno a pris la décision d’aller sur le terrain pour s’appuyer sur des éléments factuels qui lui ont permis de se rendre compte par lui-même et d’expliquer mieux, qui ont été l’occasion de répondre aux objections et de déconstruire les raisonnements conservateurs, surtout de convaincre les équipes du bien-fondé d’essayer ce qu’il leur proposait. Ayant constaté le succès de sa démarche, Ōno en a maintenu le principe quotidien pendant une carrière de 30 ans chez Toyota, jusqu’au poste de vice-président en charge de toutes les usines en 1975.

Dans un atelier - Gemba

En quoi consiste le Gemba ?

Le Gemba — que certains préfèrent nommer Genchi Genbutsu en référence à l’action d’aller vérifier l’information sur le terrain — pousse les responsables à sortir du confort de leur bureau et des salles de réunion, à mettre un instant de côté les KPI, les tableaux de bord et les rapports de synthèse pour se déplacer au plus proche de la graisse, des machines et de la matière. Au plus proche, au point de se confronter au détail, à ce petit détail qu’on aurait pu négliger mais qui concerne le concret des réalités vécues par les opérateurs et les opératrices et explique pas mal d’autres choses.

Dans un Gemba, la direction ne doit pas craindre de ranger le costume cravate et de mettre ses EPI, ni de se départir des idées générales d’une vision théorique. Elle laisse de côté les impressions et les idées toutes faites pour s’en tenir à la réalité des faits. Elle constate et comprend sans préjugé ni a priori ce qu’il se passe dans le réel de l’activité des agents. La démarche a vraiment pour but de laisser tomber les opinions, les théories et les croyances pour se fonder sur l’observation.

Il est essentiel de se rendre sur le terrain avec un haut niveau d’écoute et une capacité d’étonnement renforcée. L’échange et la communication sont au cœur du Gemba. Les opérateurs sont les experts. Il faut leur permettre de s’exprimer, de dire ce qu’ils ont à dire et éventuellement de révéler l’indicible dont la verbalisation ne peut s’obtenir qu’en gagnant la confiance.

D’où une dernière règle qu’il faut s’imposer : le respect et l’humilité. Le Gemba est aux antipodes d’une démarche autoritaire. Le chef sort de sa tour d’ivoire, bienveillant. Il vient collaborer avec les équipes sur le terrain sur le problème à traiter. Le Gemba est une méthode partagée d’amélioration continue. Le but essentiel est d’observer finement les processus pour mieux les comprendre. Il n’est donc pas question de stigmatiser les employés ni de les évaluer. La solution sera trouvée tous ensemble, dans le partage constructif et dans le cadre d’une communication ouverte et libérée.

Ouvrier au travail - Gemba

Différentes situations de Gemba

Un Gemba se prépare. Tout type de problème peut s’aborder de la sorte. Il est toujours loisible de descendre dans l’arène sans but, mais c’est moins efficace. Mieux vaut choisir un thème et l’annoncer en sachant les points à vérifier. Voyons trois exemples.

Un Gemba se prépare. Tout type de problème peut s’aborder de la sorte. Il est toujours loisible de descendre dans l’arène sans but, mais c’est moins efficace. Mieux vaut choisir un thème et l’annoncer en sachant les points à vérifier. Voyons trois exemples.

Gemba – visite de sécurité

Il sera l’occasion d’observer les comportements et de les questionner. On fera peut-être la constatation que tel agent ne porte pas un équipement pourtant obligatoire : ses lunettes de sécurité, par exemple. On l’interrogera sans reproche afin de comprendre la raison (une bonne raison) et l’on découvrira qu’elles sont inadaptées dans une situation donnée. Alors, on se posera la question de ce qu’il conviendrait de faire, question qui conduira à changer de modèle de lunettes-hublots ou à réaménager le poste de travail avec, pourquoi pas, une astuce à la clé, une bonne idée qui proviendra de l’opérateur lui-même.

Gemba – visite de productivité

On se centrera sur les gaspillages (les fameux Muda). L’observation attentive de l’atelier sur une période plus ou moins longue, peut-être en plusieurs fois consécutives, aidera à faire le diagnostic des mouvements inutiles et des temps d’attente entre deux postes qui produisent de la non-qualité. On en déduira, par exemple, qu’il faut refondre l’organisation et l’améliorer moyennant certaines réimplantations de postes de travail.

Gemba – visite virtuelle

Avec la généralisation du travail à distance, avec la multiplication des espaces de travail numériques, notamment dans les métiers des réseaux et de l’informatique, ou dans ceux de la création graphique, aller sur le terrain consiste à observer le travail se dérouler dans les ordinateurs. Par exemple, on prendra conscience d’erreurs dans la transmission de l’information qui provoquent des retards ou des défauts de codage. Après une étude plus en profondeur, ou découvrira qu’une information foisonnante crée des incidents et après avoir creusé encore un peu plus, on prendra conscience que, toujours par hypothèse, la formation des utilisateurs à l’outil de productivité de l’entreprise (tel que : Trello, Jira, Slack, etc.) n’a pas été prise en compte de façon suffisamment approfondie, de sorte que la distance a encore aggravé les choses. On pourra alors mettre en place une action correctrice.

Ishikawa - Squalinoo

Pour rechercher l’origine de la cause d’un problème, le Gemba fait appel aux outils bien connus du Lean et du Lean Six Sigma tels que le diagramme d’Ishikawa en arêtes de poisson (méthode des 5M), l’hexamètre de Quintilien (QQOQCCP) ou la méthode des 5 pourquoi. Il peut aussi avec beaucoup de bénéfice s’appuyer sur l’œil perçant d’une personne extérieure au problème : un responsable ou un agent d’un autre service ou d’un autre site, qui possède des compétences techniques distinctes, qui saura souvent apporter un regard décalé et un point de vue différent.

Hexamètre de Quintilien

Le Gemba peut être une action curative par suite d’un incident / accident. La direction se déplace sur zone pour constater, observer, comprendre et mûrir. Mais il peut aussi avoir une fonction préventive. À ce moment-là, il sert non plus à traiter des problèmes, mais à les anticiper. Il devient une routine de management, une routine qui ne doit toutefois jamais devenir routinière pour conserver le niveau d’excellence requis.

Personne à l'atelier - Gemba

Le Gemba, processus de management récurrent

Certaines sociétés font du Gemba un objectif de management et c’est une bonne idée. Elles fixent un nombre de visites de terrain à effectuer : deux par semaine, quatre par mois, etc. Pour que cela fonctionne, encore faut-il que la direction montre l’exemple et s’y astreigne, qu’elle entraîne l’encadrement dans la démarche, du top management au middle management, que chacun comprenne l’esprit et adhère à la démarche tant est fondé l’aphorisme suivant : « On ne peut pas plus que son chef. »

Il ne suffit pas d’imposer des visites régulières, encore faut-il les effectuer avec une saine motivation, ne pas les vivre comme une lubie technocratique du Comex ou du Codir.

En outre, se déroulent les visites Gemba des Senseïs, les maîtres du Lean. Ils tiennent le rôle de montrer ce qui cloche et pourrait aller mieux, forts du plus grand savoir. Leur expérience et leur expertise les rendent intraitables. Ils ont l’œil aiguisé pour identifier les problèmes dont la résolution peut faire progresser le groupe. Car on peut toujours s’améliorer, à condition de rester l’esprit bien ouvert, humble et respectueux.

Ouvrier à son poste - Gemba

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Pour en apprendre plus, consultez notre site à la page : https://squalean.fr/excellence-operationnelle/
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Squalean est un cabinet-conseil engagé dans la Précellence en management ou triple excellence – règlementaire, opérationnelle et citoyenne –.
Conciliant efficience économique et éthique des affaires, Squalean déploie sa démarche de progrès permanent par transfert de compétences du plus opérationnel au plus stratégique et vice-versa.

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