Les choses que nous faisons ont un but précis. Attitude rationnelle qui présuppose qu’il est mieux de tout contrôler et de savoir où l’on va. Pourtant, dans de nombreuses situations, ce n’est pas vrai. Au lieu de se fixer un objectif, on part de ce dont on dispose, de ce qu’on sait faire et de ce qu’on connaît. Le projet initial n’est souvent qu’une démarche tentative, une ébauche qu’enrichissent ceux qui y participent. L’objectif se construit au fur et à mesure. Il ne se révèle que plus tard.
Ce soir, vous avez invité des amis à dîner. C’était à la dernière minute mais il y a longtemps que vous ne vous étiez vus et il faut bien fêter le second déconfinement, même partiel. L’invitation s’est faite sans réfléchir, dans l’enthousiasme d’une rencontre inopinée.
Une interrogation vous saisit : « Que vais-je bien pouvoir leur faire à manger ? » L’instant de panique passé, vous réunissez vos esprits.
Deux attitudes opposées s'offrent à vous
La première consiste à choisir un menu qui vous fait plaisir et dont vous pensez que vos amis vont l’apprécier. Vous connaissez leurs goûts et leurs dégoûts. Vous vous souvenez que l’an dernier ils avaient fait honneur au rôti de porc Orloff car ils raffolent de fromage fondu. Alors, c’est décidé, pour ce soir, vous leur mitonnerez un poulet Gaston Gérard. Il vous faudra du paprika, de la moutarde à l’ancienne, du vin blanc de chardonnay et du comté. Et bien entendu, un beau poulet ! Alors, vous voilà parti au marché où vous trouverez aussi le thym et les oignons doux. Mais vous avez été contraint de poser une demi-journée de congés pour dégager le temps nécessaire. Heureusement que votre supérieur s’est montré compréhensif !
La seconde voie tient compte du fait que vous n’allez pas avoir le temps de vous rendre au marché. Le travail est prenant aujourd’hui, priorité aux urgences, mais après tout, ce qui compte ce sont les retrouvailles de ce soir. « À la fortune du pot ! », comme on dit. Vous ouvrez le frigo. Vous trouvez des lardons, du beurre et de la crème fraîche. Vous allez vérifier dans la réserve : il vous reste des linguinis. Hop ! C’est parti : pâtes à la carbonara en plat de résistance. Comme vous vous y connaissez en cuisine italienne, vous n’êtes pas tombé dans le piège de la crème fleurette. Car il n’y en a pas dans la carbonara ! En revanche, il vous faut des œufs et vous avez beau retourner le réfrigérateur dans tous les sens, ils sont introuvables. Qu’à cela ne tienne ! Vous traversez la cour, la rue ou le palier pour aller crier famine chez la fourmi votre voisine, la priant de vous prêter quelques œufs pour subsister jusqu’à la soirée nouvelle. Vous pourriez lui laisser entendre que vous lui rendrez avant l’août une boîte entière et toute neuve de cocos, intérêts et principal, car vous savez fort bien que la fourmi n’est pas prêteuse et que c’est là son moindre défaut. Mais vous avez un sursaut salvateur : pourquoi ne pas l’inviter à partager le repas de ce soir avec les amis ? Et voilà que la fourmi, votre voisine, se met à chanter et à danser en pensant à la joyeuse soirée qui s’annonce. Elle propose même d’apporter le dessert ce qui vous enlève une autre épine du pied.
Vous avez compris ?
Le premier modèle de raisonnement est dit causal ou prédictif. C’est la forme classique de pensée suivant laquelle on a tous été éduqués, le bain matriciel dans lequel nos cerveaux ont été formatés. On se fixe un objectif, on étudie les moyens nécessaires, on se donne les moyens de les réunir, on les réunit et on déroule le plan d’action. Si on a bien travaillé, on réussira à éviter les incidents de parcours et si en outre l’étude initiale a été conduite avec sérieux et méthode, il ne fait aucun doute qu’on devrait arriver pas trop loin de l’objectif visé.
Le second modèle de raisonnement est dit effectual. C’est la forme que suivent la plupart des entrepreneurs (au sens de ceux qui entreprennent) comme l’a prouvé Saras Sarasvathy, Professor in Business Administration, University of Virginia, Darden School of Business, à l’origine du concept. En France, l’effectuation est notamment popularisée et approfondie par Dr. Philippe Silberzahn, professeur à EM Lyon. Le principe est tout simple, tellement simple qu’on doit se demander comment il est possible qu’on n’y ait pas pensé plus tôt.
L’effectuation est une démarche, un processus d’itérations successives, qui intègre les acteurs de l’écosystème et prend en compte qu’il va falloir s’adapter aux imprévus. L’idée centrale est qu’en avançant, on va se débrouiller pour élargir le champ des possibles et concevoir le projet, dont ni l’aboutissement, ni la finalité n’ont été clairement définis au départ. C’est donc un processus qui n’est pas linéaire et franchement pas causal. Et plus les ressources sont rares (temps, moyens, argent), et plus l’incertitude est forte, plus la démarche effectuale prend son sens. L’effectuation est authentiquement entrepreneuriale, en ce sens que tout le processus repose sur la création permanente et le développement continu, sur l’attitude positive d’être toujours prêt à saisir les opportunités et à intégrer les événements extérieurs, bons ou mauvais.
- Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras – Faire avec ce qu’on a
- Agir en pertes acceptables
- Le patchwork fou – Obtenir des engagements
- Si la vie te donne des citrons, fais de la limonade – Tirer parti des surprises
- Le pilote dans l’avion – Créer le contexte
Et par-dessus le marché, une bonne dose de confiance dans sa bonne étoile ! L’enthousiasme et l’optimisme sont des alliés incontournables d’une démarche effectuale sereine.
Méthode effectuale et approche causale : la combinaison gagnante
L’effectuation apporte un nouvel éclairage sur les démarches d’innovation et de création. Elle s’intègre parfaitement dans les modèles de structures agiles, en réseau et d’entreprises libérées. Elle ne condamne évidemment pas la pensée causale qui n’est pas près d’être déboulonnée de son piédestal. Mais elle la complète avantageusement.
Revenons au poulet Gaston Gérard, du nom du maire de Dijon en 1930. Tout d’abord, pour dire qu’il aurait dû s’appeler poulet Reine Geneviève Bourgogne, puisqu’il revient à l’épouse de celui-ci d’avoir inventé la recette. L’histoire, volontairement simplifiée, est la suivante. Pour un visiteur de renom, le célèbre critique gastronomique Curnonsky, elle avait prévu de préparer une de ses spécialités : un poulet à la moutarde. Un geste maladroit renversa le paprika dans la cocotte. Pour rattraper le coup, la maîtresse de maison eut l’idée de rajouter du vin blanc puis du comté râpé. La légendaire recette était née, relayée par l’invité qui s’en régala et fit sa notoriété.
Dans les milieux du management de l’innovation, l’anecdote servirait à mettre en avant le principe de la sérendipité ou découverte par hasard. Ce n’est pas faux, mais à y regarder de plus près, l’histoire montre surtout qu’il est toujours possible de naviguer entre le modèle causal et la méthode effectuale pour s’adapter aux circonstances et tirer parti des surprises.
Vous en doutez ?
Regardez d’un peu plus près comment Christophe Collomb a découvert l’Amérique.
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